Miroir, miroir

L’augmentation drastique de notre présence sur les réseaux sociaux en raison de la pandémie a certainement amené une plus grande tendance à se comparer. « Moi aussi, je dois bien réussir mon confinement », se sont dit plusieurs. Mais pour les personnes vivant un trouble alimentaire, cette notion de performance a des impacts directs sur leur santé physique et mentale.

« On est l’un des troubles de santé mentale ayant le plus haut taux de mortalité », affirme Myriame Trudel, directrice générale de la Maison l’Éclaircie. Cet organisme situé dans Sainte-Foy travaille avec des individus de 14 ans et plus qui ont des comportements associés à l’anorexie et à la boulimie, ainsi qu’avec leur entourage.

« On travaille pour que les gens comprennent qu’ils sont bien plus qu’un corps. Que celui-ci n’est pas qu’une enveloppe : il nous sert à faire plein de choses et il faut en prendre soin. »

La COVID-19 a tellement bouleversé le monde qui nous entourait que certaines personnes ont cessé d’écouter les indicateurs que leur envoyait ce corps afin de garder le contrôle sur quelque chose.

« C’est très sournois les troubles alimentaires. Ça commence souvent avec de bonnes intentions [d’avoir de bonnes habitudes de vie], pour finalement laisser l’obsession prendre toute la place », explique la directrice générale. Et cela ne passe pas que par un régime alimentaire très restrictif. L’activité physique excessive fait aussi partie des signes à surveiller.

Dans une société où on lie la santé à la minceur, et du coup même au bonheur, il peut parfois être difficile de tracer la ligne entre saines habitudes et obsession.

« Si quelqu’un va courir sur l’heure du midi, on pense de prime abord que c’est son seul moment pour aller faire de l’activité physique. On ne pense même pas que ça pourrait être pour éviter de dîner », donne en exemple Myriame Trudel.

Depuis mars 2020, le nombre d’hospitalisations reliées aux troubles alimentaires a explosé. Et les demandes de services à la Maison l’Éclaircie aussi. Selon leur dernier rapport d’activités, les demandes de soutien faites par les proches ont augmenté de 260 %.

« On est là pour les aider, eux, en tant que proches, à accompagner leur conjoint·e, leur enfant. Mais on leur rappelle que pour se rétablir, la personne doit être volontaire. Qu’il faut semer des graines, parler de nos inquiétudes pour, tranquillement, l’amener vers des ressources plus spécialisées. »

La demande des personnes souffrant d’anorexie ou de boulimie a elle aussi augmenté abruptement. Une soixantaine de personnes patiente présentement sur la liste d’attente de l’organisme, une attente qui peut s’échelonner sur quatre mois.

« Avec Centraide, on a déjà pu pourvoir un cinquième poste d’intervenante et engager une deuxième nutritionniste. Sans cette aide, l’attente serait certainement encore plus longue! »

Brise de changements

Celle qui évolue dans le milieu communautaire depuis 25 ans croit que le fait d’aborder davantage la diversité corporelle, la grossophobie et l’importance de poser un regard doux sur soi apporte un changement de paradigme.

« Les gens sont de plus en plus ouverts à entendre ce discours, à voir que la minceur n’égale pas santé et bonheur. » Le volet préventif a d’ailleurs été très populaire au courant de la pandémie dans les écoles et d’autres organismes.

Très à l’écoute des membres, Myriame Trudel reconnaît justement l’importance d’être en lien avec les autres acteurs communautaires du vaste territoire que la Maison dessert. « On doit créer ces liens pour pouvoir offrir de l’aide même aux extrémités de Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches. »

Le travail collaboratif est aussi nécessaire puisque le trouble alimentaire vient rarement seul. « Plus de 50 % de nos participant·e·s font face à d’autres troubles de santé mentale comme l’anxiété, la dépression ou le trouble de personnalité limite. » La Maison l’Éclaircie réfère ainsi aux organismes selon leur expertise.

Et comme plusieurs troubles mentaux, des symptômes physiques sont également associés à l’anorexie et la boulimie tels que l’aménorrhée, une interruption de règles pouvant mener à l’infertilité.

« Les histoires de grossesse me touchent particulièrement puisqu’en plus d’être heureuse que la femme puisse être enceinte, je vois qu’elles ont le désir de transmettre à leur enfant des valeurs de respect de soi et d’acceptation tout en ayant des comportements favorisant le développement d’une relation saine avec la nourriture », raconte Myriame Trudel.

L’acceptation de soi peut être le travail d’une vie, mais grâce à des organismes comme la Maison l’Éclaircie, toute personne peut obtenir les outils pour y parvenir.

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