« Il m’a laissée pour morte »

Elle ne l’a pas vu venir, ce coup. Un coup violent à la tête qui lui a fait perdre pied et qui l’a projetée sur le coin du mur. Se réveiller, seule et grelottante, dans son propre sang. Par instinct de survie, appeler les policiers. Le 23 novembre 2018, Isabelle Duchesne a survécu à ce coup brutal, mais le combat ne faisait que commencer.  

« Moi, c’est ce que je trouve le plus difficile le après, raconte Isabelle. De se relever, de sortir avec le moins de séquelles possibles, de retrouver une vie équilibrée, c’est gros. C’est aussi très lourd. Chaque individu se relève comme il peut. » 

L’infirmière travaillait plus de 70 heures par semaine : la distance physique avec son conjoint a donc camouflé la violence psychologique qu’il lui faisait subir. « J’ai été prise au moins quatre ans dans le cycle. Quand tu montres que tu veux le quitter, le violent revient doux. Mais plus tu retombes, plus il va faire de la manipulation. » 

À son arrivée à l’hôpital, son visage est méconnaissable. Quelques millimètres à côté et l’impact entre le mur et sa tête rendait toute intervention médicale impossible. S’en suivent de gros troubles de mémoire, des maux de tête épouvantables et un système vestibulaire, responsable notamment de l’équilibre, très affecté. « Je tombais partout. Je me promenais le long des murs de ma maison avec des bâtons de ski. »  

Guérir 

Après six mois, la rééducation vestibulaire est terminée pour Isabelle Duchesne. Mais les rendez-vous chez sa neuropsychologue ne sont pas les seuls rendez-vous hebdomadaires auxquels elle assiste. 

Au sortir de l’hôpital en novembre, une feuille toute simple lui est remise. S’y trouvent différentes ressources pour les femmes victimes de violence conjugale. Violence Info est l’un des organismes mentionnés.  

Chaque semaine, son fils la reconduit au local où elle assiste à des rencontres individuelles et de groupe qui l’aident à se rebâtir une confiance en elle. Des rencontres qui lui font voir qu’elle n’est pas la seule à vivre cette situation.  

« Je suis une personne qui ne demandait pas d’aide, mais j’ai apprivoisé de le faire grâce à cet organisme-là. J’ai su reprendre ma vie en main, tranquillement, avec des personnes d’une douceur excessive, des gens humains qui donnent des outils pour s’en sortir. » 

Tout au long des rencontres de groupe, la survivante se voit évoluer, mais observe aussi chaque femme qui l’accompagne reprendre confiance en elle. Isabelle décide alors de s’impliquer au conseil d’administration de Violence Info, sa façon à elle de remercier l’organisme d’être ce qu’elle est aujourd’hui. « Je n’y croyais pas quand j’ai subi cette violence-là que je pouvais m’en sortir ». 

Il va sans dire que le soutien indéfectible de ses enfants n’est pas négligeable dans le rétablissement d’Isabelle. « Mon fils et ma fille ont été extraordinaires, mais ce n’est pas toutes les femmes qui ont un environnement comme ça. J’ai été privilégiée. » 

Le soulagement se fait sentir lorsqu’elle raconte que l’homme violent n’est pas le père de sa progéniture. « Je n’ai pas eu à rester en lien avec ce mari par rapport aux enfants. La société devrait être plus consciente de l’impact familial. Une mère de trois enfants, on parle de quatre individus qui subissent une forme de violence. Ça demande encore plus d’aide. » 

D’ailleurs, Isabelle rappelle que Violence Info offre dorénavant un programme d’intervention jeunesse qui permet entre autres aux jeunes de 6 à 12 ans de ventiler sur ce qui se passe à la maison et d’apprendre la gestion des émotions.  

Avancer 

Même si les crises d’anxiété et les cicatrices physiques ont disparu, Isabelle continue d’apprendre à vivre avec son traumatisme. Ses témoignages publics, à visage dévoilé, lui redonnent également un pouvoir qu’elle s’était vu refuser lors du procès de son ex-conjoint.  

« Jusqu’à la dernière minute, je devais aller témoigner. J’étais prête, on m’avait préparée. À la dernière journée, il a plaidé coupable. L’agresseur a le droit de décider ce qu’il fait cette journée-là, mais moi, on ne m’a pas donné le droit de le dire ce qu’il m’a fait. Je suis restée avec cette émotion-là en dedans de moi. »   

Et elle croit de tout cœur que chaque femme ne devrait jamais attendre avant de demander de l’aide. « Dites-le. Ne vous renfermez pas sur vous-mêmes. Il y a tellement de gens qui sont là pour aider. Et merci qu’ils y soient. » 

Les outils pour s’en sortir, pour reprendre confiance en soi, pour retrouver son intégrité, ils existent, et ils fonctionnent. La violence conjugale est implantée profondément dans notre société selon Isabelle, mais des solutions sont de plus en plus disponibles à l’heure actuelle.  

Les centres d’hébergement, la DPJ, les CIUSSS, les organismes en soutien aux victimes, ceux qui aident les hommes qui veulent s’en sortir… « C’est le regroupement de tous ces acteurs qui fait qu’on est une société plus forte. »  

Le 16 mars 2020, Isabelle Duchesne reprenait son poste d’infirmière en CHSLD, trois jours par semaine, avant de revenir à temps plein il y a quelques mois. « Ma neuropsy m’a souligné que j’avais beaucoup de résilience. » On ne pourrait être plus d’accord avec elle.