La lutte aux inégalités sociales ne fait pas la manchette en cette période électorale. Centraide Québec et Chaudière-Appalaches a récemment rectifié le tir en réunissant sa pdg, Isabelle Genest, l’éminent économiste Clément Gignac et le maire de Québec, Bruno Marchand, pour une discussion autour des inégalités en période d’instabilité économique.  

« On n’est pas tous égaux face à l’inflation », lance d’entrée de jeu Clément Gignac, qui a occupé le poste d’économiste en chef chez iA Groupe financier avant de devenir sénateur indépendant du Québec.

Animée de main de maître par Olga Farman dans la salle de spectacle bien remplie du Capitole de Québec, la soirée du 13 septembre dernier regroupait les donatrices et donateurs majeur·e·s de Centraide et plusieurs dizaines de directions d’organismes communautaires associés à Centraide.

« Ça m’impressionne toujours beaucoup à quel point, dans Québec et Chaudière-Appalaches, la communauté d’affaires souhaite parler des vrais enjeux », note Isabelle Genest.

Le public attentif a ainsi pu entendre le trio se prononcer sur l’état de la situation actuelle, mais aussi sur les actions à poser pour diminuer les impacts dévastateurs de l’inflation sur les plus vulnérables.

« Les dépenses consacrées à l’alimentation des plus démunis tournent autour de 20-25 % de leur budget, alors que celles des plus nantis sont d’environ 10 % », donne en exemple Clément Gignac.

L’économiste d’expérience croit donc qu’il est primordial que l’aide gouvernementale soit repensée, alors que l’inflation atteint des records historiques de 9 %. « Quand on donne de l’argent à tout le monde, tout ce qu’on fait, c’est stimuler l’inflation parce que les gens dépensent plus et les taux d’intérêt sont plus hauts. »

Le maire de Québec, Bruno Marchand, va dans le même sens. « Si on continue d’attendre que les crises s’accumulent, ça sera au détriment des populations démunies. Ce n’est pas parce que l’ampleur du problème est grande qu’il n’y a pas de mesures possibles. »

Alors que s’accumulent les annonces des différents partis en cette campagne électorale, Clément Gignac soutient qu’il manque toujours un plan d’aide aux organismes communautaires.

« Il y a quelque chose à changer dans la façon dont les gouvernements perçoivent les organismes communautaires. Il faut voir les organismes comme des partenaires économiques », lance le sénateur.

Isabelle Genest plaide également pour une plus grande reconnaissance des organismes. « Le communautaire doit être considéré comme un système à part entière. Il a sa place au même titre que d’autres systèmes qu’on met de l’avant, comme celui de la santé ou de justice. »

Cascades d’impacts

L’instabilité économique amène de nouveaux pans de la population à aller chercher de l’aide, confirme la pdg de Centraide. Et les effets de l’inflation déferlent comme des cascades sans fin selon elle.

« Avec l’inflation, la pénurie de main-d’œuvre et la crise du logement qui arrivent en même temps, ce qui nous attend au détour, c’est du décrochage scolaire. Ce sont des enfants qui vont garder leurs jobs au lieu de terminer leur secondaire pour aider leur parent avec le loyer. Ça, c’est Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy en 1940. Il n’y a personne qui veut revenir à ça », illustre Isabelle Genest.

Le ruissellement peut cependant se faire aussi de façon positive, note Bruno Marchand. « Par exemple, des études relèvent qu’une tarification sociale sur les transports en commun améliore sensiblement la mobilité des personnes défavorisées et fait en sorte qu’elles ont plus de possibilités d’emploi. »

Tout au long de la soirée, le maire ne s’est d’ailleurs pas gêné pour aborder des enjeux qui lui tiennent à cœur. « Tolérer l’itinérance, c’est inacceptable. Il faut arrêter de tourner autour de notre queue », évoque-t-il en référence à son projet d’itinérance 0 répéter à maintes reprises dans les médias depuis son arrivée en poste.

Le développement économique et social va de pair, s’entendent les panélistes. « Toutes les politiques et initiatives économiques devraient toujours être mises sur pied en se demandant si elles luttent contre les inégalités sociales », évalue Isabelle Genest.

Les différents paliers de gouvernement, et même les organismes, ne sont pas les seuls à pouvoir agir sur les inégalités sociales. Bruno Marchand est d’avis qu’il est de la responsabilité de la ville entière de se questionner sur ce qu’elle pose comme geste concret.

« Et quand je parle de la ville, je ne parle pas que des élu·e·s. Je parle des gens qui la composent, des gens qui la bâtissent, c’est-à-dire vous et moi. »

Si la responsabilité retombe sur tout le monde, le maire n’a pas hésité à décocher une flèche à l’endroit d’un aspirant premier ministre, à quelques semaines des élections provinciales. « 4 des 5 partis ont beaucoup de mesures qui peuvent être intéressantes à mettre en place, notamment liées au logement. »

Témoins du terrain

La dernière partie de la soirée a offert une tribune de choix aux organismes communautaires, alors que directrice et bénévoles se sont succédé·e·s au micro pour offrir de riches témoignages.

Ginette Massé, directrice générale de la Maison de Marthe, se considère plutôt comme une entrepreneure sociale. Elle s’est donc adressée à la communauté d’affaires pour la sensibiliser à sa réalité.

« Pour gérer un organisme comme le nôtre, il faut énormément d’aide financière. Si vous saviez le nombre de demandes de financement qu’on peut faire pour obtenir un service qui devrait être déjà établi depuis 20 à 30 ans! » s’enflamme-t-elle.

Une bénévole est aussi venue soutenir une affirmation de Clément Gignac comme quoi vivre l’expérience terrain marquait les esprits à jamais.

« Je vous invite à créer votre fonds Centraide, mais de vous lever, d’aller porter de la nourriture, de faire des choses concrètes sur le terrain, ça vous ramène les pieds sur terre! »

Augmenter son don

Anne-Marie Boissonnault, vice-présidente au développement philanthropique, a invité les donateurs et donatrices majeur·e·s à répondre aux besoins grandissants causés par l’inflation en joignant le nouveau Cercle 1945.

Regroupant les personnes qui donnent annuellement plus de 10 000 $ à Centraide Québec et Chaudière-Appalaches, le Cercle comprend également des membres honoraires dont la contribution dépasse les 50 000 $.

Comme Olga Farman le souligne, « Centraide ne vient pas remplacer la fiscalité ou le soutien gouvernemental qui demeure indispensable, mais l’action de Centraide est complémentaire. Elle nous permet de dire : nous, ici, on aide notre monde. Chaque personne compte. »